L’Histoire du soldat Fatzer

Théâtre musical 

« Entre Verdun et Juvigny, pas un soldat ne rentr’ chez lui ! » 

Au printemps 1917, quatre soldats allemands apprennent qu’une révolution a éclaté en Russie et décident de déserter et de se cacher, jusqu’à ce que « l’Inévitable Révolution » se répande en Europe – comment ne le ferait-​elle pas, puisque les soldats au front et les travailleurs dans les usines souhaitent tous la fin de la guerre ? Mais lorsqu’ils découvrent les motifs égoïstes de leur meneur, l’anarchiste Fatzer, les déserteurs se rendent compte qu’il n’y a pas beaucoup de raison dans l’histoire…

L’Histoire du soldat de Stravinsky et Ramuz, conçue en Suisse en 1917, porte en son centre deux points aveugles dont, en tant que fable sur le bonheur individuel, elle se détourne avec une obstination qui ne peut qu’intriguer : la guerre la plus meurtrière de l’histoire, et un mouvement révolutionnaire sans précédent qui a failli faire basculer sans transition un continent d’empires belliqueux en sociétés communistes. C’est l’intuition que l’échec de ce mouvement – et la plongée concomitante de l’Europe dans la haine et le totalitarisme – a quelque chose à voir avec le paradoxe interne de cette œuvre qui nous a incités à réexplorer ce classique afin d’apprendre de lui, du genre d’apprentissage que l’on peut tirer non de l’exégèse d’un texte sacré mais d’une libre conversation.

Nous nous sommes tournés vers les cinq mouvements de la suite pour trio que Stravinsky lui-​même a tirée de son œuvre en 1919 : détachée de sa dramaturgie d’origine, sa musique s’y offre à de nouvelles associations. Nous avons construit autour d’elle une nouvelle histoire, inspirée des fragments inachevés de Bertolt Brecht pour deux projets, la « pièce didactique » Chute de l’égoïste Johann Fatzer et l’opéra Les Voyages du Dieu Bonheur – deux textes qui s’interrogent également sur ce moment charnière de l’histoire où tout aurait pu basculer.

Ce moment de 1917 est celui où la propagande de masse et la destruction mécanisée se sont imposés de manière durable et ont donné naissance au monde où nous vivons aujourd’hui. Il n’est pas étonnant que ce soit aussi le moment où Stravinsky et Brecht ont développé, séparément et chacun à sa manière, une forme artistique que nous appelons aujourd’hui le théâtre musical. Dans cette forme ironiquement philosophique et interdisciplinaire de théâtre de chambre, élaborée avec le soin qui va à la musique de chambre, les médiums ne sont pas fusionnés dans une œuvre d’art totale et monolithique, mais interagissent à égalité et leur friction produit des étincelles. C’est une exaltation de l’hétérogénéité, contre le consensus. Arme de résistance, comme le cabaret et le collage qui à la même époque l’irriguent, le théâtre musical s’offre à nous comme un héritage à continuer.

Avertissement : Ce spectacle faisant un usage scénique de la Suite pour trio réalisée par Igor Stravinsky, conçue pour les représentations de concert sans texte, il a été interdit de représentation par les ayants droit du compositeur, et ne sera disponible en tournée européenne qu’à l’entrée dans le domaine public du catalogue de Stravinsky, à partir du 1^er janvier 2042.

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